UNE STRATÉGIE POUR UNE POLITIQUE GLOBALE DE LA MER

Les associations d’auditeurs de l’IHEDN ont tenu le 9 décembre 2016 leur Forum national annuel à l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix en Provence sur le thème « l’avenir de la France est aussi sur la mer ». Cette rencontre a permis aux auditeurs de présenter la synthèse des travaux menés par les associations dans le cadre du cycle annuel d’étude fixé par l’Union des associations des auditeurs de l’IHEDN (Union-IHEDN).

De la vingtaine de rapports présentés sur différents aspects de ce sujet, seize propositions sont émises comme autant d’éléments pour la politique de la France dans ce domaine. Ces idées sont mises sous le regard des candidats à l’élection présidentielle prochaine afin qu’ils y trouvent une source d’inspiration pour préciser leur programme concernant le facteur multiplicateur de puissance que la possession du plus grand espace maritime mondial (avec celui des Etats-Unis) donne à la France.


La politique maritime doit être érigée au rang de priorité nationale et se fonder sur une stratégie claire. Cette stratégie doit poursuivre trois grands objectifs :
1- Assurer la sécurité de nos espaces maritimes ;

2- Accroître la part du secteur maritime dans le Produit intérieur brut de façon significative ;

3- Améliorer la gouvernance nationale et internationale de la mer. PREMIER OBJECTIF : ASSURER LA SÉCURITÉ DE NOTRE ESPACE MARITIME

 

PREMIER OBJECTIF : ASSURER LA SÉCURITÉ DE NOTRE ESPACE MARITIME

Proposition n° 1 : Renforcer nos forces navales.

La France dispose d’une marine militaire significative mais dont le format a été réduit de manière continue au cours de la dernière décennie. La conséquence est qu’aujourd’hui nos forces navales ne sont plus en mesure de mener toutes les missions qui devraient leur être attribuées, malgré des efforts substantiels de rationalisation et de recherche de polyvalence des moyens engagés. D’une part, dans une logique de dissuasion et de projection de puissance, la France doit conforter deux composantes marines majeures qui en constituent le socle : SNLE et porte-avions. D’autre part, dans une logique de protection de nos intérêts, notamment économiques, la Marine doit disposer de davantage de moyens de contrôle de nos vastes espaces maritimes Les économies de court terme pourraient dans l’avenir affecter notre indépendance, notre souveraineté, notre sécurité, réduire notre influence dans le monde et peser durablement sur l’avenir de notre économie. Les enjeux sont vitaux à long terme et, si les efforts nécessaires ne sont pas réalisés, il ne sera plus possible de rattraper notre retard dans un monde en plein réarmement.

Proposition n° 2 : Créer de nouveaux dispositifs de surveillance

Le renforcement de la flotte ne doit pas passer uniquement par celui des moyens de la supériorité maritime, il doit aussi se concrétiser par un équipement assez peu coûteux dédié à la surveillance des zones françaises et à la protection des côtes. Un patrouilleur de haute mer est suffisant pour faire respecter les zones de pêche et coûte moins cher qu’une frégate. Par ailleurs, les équipements satellitaires doivent être mis au service de la surveillance des grandes zones et permettre l’engagement des moyens navals et aériens avec justesse, réactivité et pertinence.
L’insécurité et la criminalité en mer ont une croissance parallèle à celle du commerce maritime. Il faut donc adapter nos capacités à cette situation. Outre le rôle des patrouilleurs déjà évoqué, il convient d’étendre le rôle de la Gendarmerie maritime à laquelle sa qualité à constater les infractions et à présenter leurs auteurs au juge donne une compétence large, du trafic illicite à l’immigration clandestine en passant par la répression de la délinquance portant atteinte à l’environnement. Les ressources humaines nécessaires pourraient se trouver dans le développement des effectifs de la réserve de la Gendarmerie et la création d’une réserve des Douanes.

Proposition n° 3 : Créer à l’échelle de l’Union Européenne une force de garde-côtes.

Si les dispositifs à mettre en place relèvent essentiellement des Etats-membres disposant d’une façade maritime, leurs financements pourraient être supportés par l’ensemble des pays dans la mesure où la surveillance des frontières est d’intérêt commun. Bien au-delà de cette mission, les garde-côtes veilleraient à la régulation du trafic maritime, à l’assistance aux navires dans les approches de l’Union et à la prévention des dommages portés au milieu marin.

Proposition n° 4 : Sécuriser l’e-navigation.

La cyber-sécurité vient tout juste d’être identifiée par l’Organisation maritime internationale (OMI) et l’Association internationale de signalisation maritime (AISM). Les systèmes de navigation actuels, par exemple l’AIS (Automatic identification system), ne sont pas protégés. Ce devrait être l’un des enjeux de la « e-Navigation », terme qui désigne les futurs systèmes de navigation intégrés et automatisés que les organismes ci-dessus sont en train de normaliser avec l’aide de la CEI et de l’ISO.

Proposition n° 5 : Sécuriser les moyens de télécommunication sous-marins de façon globale.

Considérer la sécurisation des câbles sous-marins calédoniens, polynésien et le raccord de Wallis & Futuna de façon globale et pas seulement dans un contexte territorialisé. L’implication de l’Etat est décisive pour s’assurer que les démarches entreprises le sont de façon globale, incluant les besoins locaux mais également tenant compte de la dimension stratégique de ces projets.

DEUXIÈME OBJECTIF : ACCROÎTRE LA PART DU SECTEUR MARITIME DANS LE PRODUIT INTÉRIEUR BRUT

Proposition n° 6 : Doubler la part du secteur maritime dans le PIB pour atteindre 6%.

L’apport du secteur maritime au PIB national est inférieur à ce qu’il pourrait/devrait être. A l’heure où notre pays recherche de nouveaux relais pour une croissance dans un contexte durablement atone, le secteur maritime, insuffisamment exploité, constitue une des ressources possibles. Nous proposons donc de fixer un objectif global ambitieux pour ce secteur, à savoir quasi-doubler sa contribution au PIB, soit atteindre une part du PIB de 6 % en 15 ans. Fixer ainsi un macro-objectif peut sembler à la fois ambitieux et irréaliste. Cela paraît, au contraire, l’approche la plus pragmatique et ayant les meilleures chances de succès, sauf à s’enferrer irrémédiablement dans les détails de micro-politiques éparpillées.

Proposition n° 7 : Viser les hautes valeurs ajoutées

Le secteur maritime n’échappe pas à la tendance qui fait inexorablement nous échapper les activités à moindre valeur ajoutée, chaque fois qu’elles sont susceptibles d’être délocalisées vers des zones à faible coût du travail. Malheureusement, ces zones sont nombreuses, notamment aujourd’hui en Asie du sud-est mais aussi demain en Amérique du Sud ou en Afrique, d’où nous vient ou viendra une forte concurrence dans la plupart des domaines : construction navale, pêche, transport. Ne subsistent durablement pour notre économie nationale que les activités de souveraineté – la défense en premier lieu- ,celles qui nécessitent un investissement important pour les nouveaux entrants potentiels, en particulier celles de R&D ; ou les activités « de proximité » qui ne sont par nature pas délocalisables, car liées à des milieux spécifiques : pêche côtière, plaisance, tourisme littoral… Nous n’avons donc pas d’autre choix, là encore, que de miser sur la « haute valeur ajoutée », en particulier scientifique, en développant des filières innovantes (biotechnologies, énergies renouvelables, prospection, aide et sécurité pour la navigation…) et en espérant pouvoir en rentabiliser suffisamment longtemps les retombées techniques et industrielles avant que d’autres acteurs s’en emparent, en exploitant les voies que nous leur aurons ouvertes.

Proposition n° 8 : Fédérer les acteurs économiques du milieu marin

Il n’y a pas de « fédérateur » indiscutable des acteurs économiques et industriels très divers du milieu, même si l’on note une montée en puissance méritoire du Cluster maritime français et du GICAN, mais qui peine à se concrétiser du fait de l’implication insuffisante des acteurs de la profession (y compris dans la consommation des crédits de R et D !) .

Proposition n° 9 : Accroître notre production d’énergie renouvelable.

L’outre-mer insulaire, par ses caractéristiques propres : éloignement, distances entre les îles, faibles populations, coût de l’énergie classique, référentiels techniques et économiques en matière d’énergie très différents des grandes zones continentales interconnectées, mais aussi biodiversité marine considérable et paysages littoraux et côtiers hors du commun, est un terrain d’essai et de mise au point exceptionnel. Nos outre mers peuvent et doivent-être des têtes de pont exemplaires pour développer des recherches et des innovations, tester des technologies, lancer de projets pilotes, établir des études d’impact environnemental complètes et objectives dans des zones à très fort capital naturel, valider l’acceptabilité sociale de ces technologies auprès des populations et donc rayonner par des savoir-faire transversaux auprès de voisins insulaires placés dans les 3 océans et soumis aux mêmes contraintes avec en outre l’argument politique fort d’une contribution, via ces techniques, à la réduction de l’émission de gaz à effet de serre et donc à la limitation des effets du changement climatique.

Proposition n° 10 : Engager l’exploitation et la gestion des ressources minérales profondes

Nos territoires outre-mer, où nous le savons désormais se situent des ressources minérales profondes de toute première importance, posent les mêmes questions que l’énergie renouvelable : développement de recherches et d’innovations, tests de technologies sur la base de projets pilotes, évaluation des impacts environnementaux dans des zones de biodiversité encore très peu connues, validation de l’acceptabilité sociale et culturelle de ces exploitations auprès des populations, promotion de modalités de gestion intégrée et donc de rayonnement international par des savoirfaire transversaux technologiquement avancés, scientifiquement validés et respectueux de l’environnement. Ce secteur d’activité est porteur de grands enjeux les réflexions sont très actives, une fois de plus dans le Pacifique, où tout porte à croire qu’elles continueront de l’être.

Proposition n° 11 : Développer l’intégration régionale des départements et collectivités d’outre-mer autour de l’espace maritime.

Il faut dynamiser le transport maritime pour en faire un levier majeur du développement, notamment dans la Caraïbe. Cet objectif recouvre plusieurs domaines. En premier lieu, il s’agit de renforcer la capacité des ports des territoires ultramarins pour les hisser au niveau de pôles reconnus dans le trafic mondial. C’est tout particulièrement le cas pour tirer profit du développement de routes nouvelles, qu’il s’agisse des conséquences de l’élargissement du canal de Panama ou de l’ouverture progressive des routes du Grand Nord. En second lieu, il faut mettre à profit le développement spectaculaire et, semble-t-il, durable de l’industrie de la croisière. Outre l’apport de celle-ci à l’économie métropolitaine par la construction navale, il convient, tant en Atlantique que dans le Pacifique et l’Océan Indien, de développer l’offre de services de maintenance et d’avitaillement mais aussi d’accueil des touristes. La fédération des différents acteurs demande une action de pilotage de l’Etat, aussi bien au niveau des infrastructures que des services.
Proposition n° 12 : Favoriser la recherche dans les divers domaines du monde marin.
La recherche est indispensable pour développer des activités à haute valeur ajoutée telles que préconisées dans la proposition n°7. Il serait donc utile de concevoir et mettre en place un Plan national de la recherche pour la mer qui intéresse aussi bien les aspects fondamentaux de la connaissance du milieu marin que les dimensions technologiques dans des domaines aussi variés que le transport, l’énergie, les matières premières et, bien sûr, les sciences du vivant. Ce Plan, orchestré par l’Etat en lien avec tous les acteurs publics et privés, universitaires et économiques du Pays définirait les axes de travail, les objectifs et les financements dans un cadre de moyen/long terme. Une place importante serait faite à la biologie marine. Si les problèmes de brevetabilité du vivant doivent être éclaircis (cf la partie « gouvernance » de ces propositions ci-après), ne serait-ce que pour permettre un juste retour sur l’investissement de recherche, il reste que les enjeux au niveau pharmaceutiques et nutritionnels sont considérables et méritent une attention toute particulière.

Proposition n° 13 : Positionner la place de la France dans les télécommunications sous-marines.

Il faut un soutien fort de l’Etat aux collectivités territoriales du Pacifique. Compte tenu de l’aspect stratégique des projets dans leur globalité, d’une part, et de la pression de la puissance américaine dans la région, d’autre part, des projets de téléport ne pourront exister qu’avec le concours actif de l’État et de l’Europe. Cela passe par le confortement des savoir-faire nationaux. La France dispose d’atouts-majeurs dans la pose et le maintien des câbles sous-marins. Il parait essentiel de sécuriser ces savoir-faire et de développer la relation avec les acteurs locaux.
Concrètement, il parait opportun de soutenir le projet d’interconnexion Nouvelle-CalédoniePolynésie en passant par Wallis & Futuna. Ce projet positionne, à minima, les deux collectivités en tant que points de passage et non plus en simple consommateurs d’Internet, permettant des retombées importantes en termes d’économie et de recherche, mais également en termes de communication sécurisée entre les collectivités françaises du Pacifique. Il serait bon de considérer la Nouvelle-Calédonie à l’ouest et la Polynésie à l’est comme des hubs régionaux en termes de communication et prendre de vitesse les Fidji qui commencent à s’imposer comme tel dans la région. La Nouvelle-Calédonie, notamment, récemment intégrée comme membre à part entière au Forum des Iles du Pacifique, a un potentiel d’interconnexion fort avec ses voisins proches ou éloignés et la possibilité de se positionner en tant que hub de l’archipel mélanésien en se reliant au Vanuatu, à Wallis & Futuna et à Fidji. Une liaison trans- Pacifique transitant par la Polynésie française conforterait son rôle incontournable dans la zone et lui permettrait de concurrencer Hawaï. Enfin, il conviendrait de relancer la dynamique des réflexions Polynésie/Chili sous le patronage de l’Etat. L’opportunité d’un câble sous-marin trans-Pacifique apparaît importante tant pour la France que pour les collectivités françaises du Pacifique.

TROISIÈME OBJECTIF : AMÉLIORER LA GOUVERNANCE DE LA MER

 

Proposition n° 14 : Réaliser un inventaire des activités stratégiques du secteur maritime nécessitant le maintien et le développement d’un savoir-faire national.

La définition des profils, la formation et la gestion des richesses humaines qui serviront le développement de l’économie maritime de demain doivent être considérés comme un enjeu prioritaire, dans ses composantes techniques, économiques et éthiques, de l’école primaire à l’enseignement supérieur, voire dans la formation continue destinée aux personnels des secteurs publics, privés et associatifs, ainsi qu’aux cadres et dirigeants. Proposition n° 15 : Prendre soin de la biodiversité marine.
Il conviendrait de promouvoir une solution fédératrice au sein des Nations Unis afin de pallier l’absence de cadre de gouvernance reconnu de façon consensuelle par tous les pays pour mettre en place les mesures internationales nécessaires à la protection de la biodiversité marine et au partage de l’accès aux ressources biologiques ainsi qu’aux bénéfices qui en découlent dans leur globalité . Il faudrait considérer les ressources génétiques marines comme ayant une origine unique dans l’environnement marin. Cette recommandation cohérente sur le plan biologique aurait des implications fortes en termes de gouvernance puisqu’elle revient à admettre que les ressources génétiques marines sont partagées par tous et donc profitables à notre potentiel R&D dans le domaine des biotechnologies marines compte tenu de notre ZEE . Le soutien aux aires marines protégées relève du même objectif.

Proposition n° 16 : Promouvoir une diplomatie adaptée à la dimension maritime de la France.

La place de notre Pays dans l’espace maritime mondial, la répartition géographique et climatique de celui-ci, les atouts que constituent les territoires ultra-marins français, les dimensions économiques, environnementales et militaires qui marquent les enjeux de la mer militent pour un effort particulier de la France sur la scène internationale. Que ce soit dans le cadre européen, dans les espaces régionaux où nous avons des intérêts ou bien au niveau mondial, la diplomatie française se doit d’être proactive. Nous pouvons être à l’origine d’initiatives et de coopérations dans bien des domaines évoqués ci-dessus qui seraient en parfaite cohérence avec notre poids dans l’univers maritime. Cette diplomatie d’influence, soucieuse des intérêts nationaux mais aussi du bien commun de l’humanité, fidèle en ce sens à la vision traditionnelle de notre Pays, viendrait exprimer et concrétiser le formidable multiplicateur de puissance que notre espace maritime exceptionnel donne à la France.