Puissance et sécurité ont longtemps été associées. Pour les praticiens comme pour les théoriciens de l’action extérieure, la puissance était la garantie de la sécurité dans un environnement international anarchique. Le diplomate et le soldat étaient ainsi les deux représentants symboliques de l’action extérieure des Etats dont « la politique est toujours politique de puissance ». « Objectif premier des Etats » selon Morgenthau, la puissance servait alors d’instrument d’équilibre (la balance of power) entre les intérêts concurrents des Etats qui entretenaient de ce fait des relations ambivalentes fondées tout autant sur la compétition que sur la coopération.
Cette représentation de l’action extérieure de l’Etat a doublement évolué. Tout d’abord, l’instabilité supposée du système international doit être relativisée du fait de l’obsolescence – du moins provisoire – de la guerre interétatique (ce que confirme a contrario le concept de « guerre hybride » utilisé aujourd’hui dans le cadre du conflit en Ukraine). En second lieu, le pouvoir de commandement interne des autorités de l’Etat est remis en cause par la prise en compte des Etats faillis (Syrie, Libye, RCA…). Les représentations théoriques classiques ont alors été contraintes à tenir compte de cette double évolution en substituant la sécurité à la puissance comme critère déterminant de l’action extérieure des Etats.
Cette transformation radicale des représentations du monde permet d’expliquer à la fois la mise sous contrôle des guerres interétatiques, comme la diffusion des conflits asymétriques qui en résulte. Dans ce nouvel environnement international, la puissance cesse d’être l’arbitre des rivalités interétatiques et devient même problématique dès lors qu’il s’agit d’opposer les armées régulières des puissants aux forces irrégulières, infraétatiques et transnationales à la fois (djihadistes, talibans…). Dans l’environnement stratégique du début du XXI° siècle, la puissance reste bien sûr un bien rare qui permet à ceux qui peuvent s’en prévaloir d’exercer une influence prépondérante sur les affaires du monde, comme en témoigne les ambitions de nations émergentes qui peuvent accroître leur visibilité internationale comme leur autorité régionale (Inde, Afrique du Sud, Nigeria, Brésil, Turquie…). En ce sens, l’idée d’une possible « impuissance de la puissance » (Bertrand Badie) résiste mal à l’examen. Cependant, cette quête d’influence mondiale ou régionale expose les Etats les plus puissants à une insécurité croissante puisque leurs ambitions les conduisent à intervenir dans des conflits internes (13 conflits infraétatiques étaient internationalisés en 2014 du fait de la présence de forces extérieures aux pays concernés) quand les Etats moins puissants qui s’abstiennent d’intervenir militairement sont finalement moins exposés aux menaces transnationales (terrorisme, cyber-attaques….)
Le thème proposé à la réflexion des auditeurs pour l’année 2015-2016 visera donc à s’interroger sur le lien unissant la sécurité à la puissance dans un environnement où la puissance devenue « structurelle » (S. Strange) ne peut plus être systématiquement envisagée comme la garantie de la sécurité.