Lorsqu’on regarde une carte du monde, on note que l’Asie du Sud-Est est positionnée…
Contribution de l’AR-IHEDN Nouvelle-Calédonie au thème d’étude de l’IHEDN 2013-2014
L’Asie du Sud-Est, entre Inde et Chine, entre États-Unis, Japon et Europe :
néo-émergence, géopolitique, sécurité
Lorsqu’on regarde une carte du monde, on note que l’Asie du Sud-Est[1] est positionnée, à l’ouest et au nord, entre l’Inde et la Chine.
Lorsqu’on s’intéresse à ses relations stratégiques, il apparaît que les États-Unis, le Japon et l’Europe sont d’autres partenaires ou rivaux majeurs.
Mais la géographie et la géopolitique amènent aussi à s’intéresser aux voisins du sud et de l’est : l’Océanie dans son ensemble, et l’Australie en particulier.
L’Australie, partenaire particulier de l’Asie du Sud-Est
L’Australie, qui est déjà la 14e puissance économique mondiale, entretient des relations étroites avec l’Asie du Sud-Est qui se trouve, comme elle, à la charnière entre l’océan Indien et l’océan Pacifique, au cœur de ce que Canberra désigne officiellement comme son environnement Indo-Pacifique.
Le gouvernement de Julia Gillard, avant d’être replacé par celui de Tony Abbott, en septembre 2013, avait défini une stratégie intitulée « Australia in the Asian Century » et le premier déplacement à l’étranger du nouveau Premier ministre libéral a été en Indonésie.
Les États d’Asie du Sud-Est, dans leur ensemble, attachent de l’importance à leurs relations avec l’Australie, qui est le plus ancien « partenaire de dialogue » de l’ASEAN[2]. La dernière rencontre dans ce cadre, le 30 juin 2013, a rappelé que « it was in the economic and strategic interests of ASEAN and Australia for the relationship to continue to strengthen ». Un ambassadeur australien auprès de l’ASEAN, résident à Jakarta et exclusivement chargé de cette mission[3], a été mis en place quelques semaines plus tard.
L’Australie et l’ASEAN sont liées depuis 2007 par un partenariat global (ASEAN-Australia Comprehensive Partnership) développée au travers d’un Plan of Action. Cet engagement réciproque n’est pas nouveau : le premier Sommet ASEAN-Australie s’est tenu en 1997 à Kuala-Lumpur.
Les questions de défense et de sécurité sont significatives dans les relations entre l’Asie du Sud-Est et l’Australie. Le dispositif de l’ASEAN compétent en la matière, le Forum régional (ASEAN Regional Forum, ARF[4]), reçoit le soutien de Canberra, notamment dans les domaines de la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale, des secours après les catastrophes naturelles, de la sécurité maritime.
En 2014 doit se tenir un deuxième séminaire sur le droit de la mer du Forum régional de l’ASEAN (2nd ASEAN Regional Forum Seminar on United Nations Convention on the Law of the Sea). Il sera co-présidé par l’Australie et les Philippines.
L’Australie est membre du Sommet de l’Asie orientale (East Asia Summit, EAS[5]) depuis sa création et participe donc au dialogue annuel des chefs d’État et de gouvernement de l’ASEAN + 8 sur les grands sujets intéressant l’Asie orientale.
L’Australie est partie à l’accord de coopération régionale de lutte contre la piraterie maritime en Asie (ReCAAP[6]).
Elle est un membre important de l’ASEAN Defence Ministers Meeting Plus (ADMM+[7]) : c’est l’Australie qui a organisé, en octobre 2013, le premier exercice de sécurité maritime de l’ADMM+. Pour l’Australie, l’immigration illégale par la mer est une préoccupation majeure : ses relations avec l’Asie du Sud-Est sont déterminantes pour la contrer.
Sur le plan économique et commercial, des négociations sont en cours pour un Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP). L’ASEAN, l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont liées depuis 2010 par un accord de libre-échange (ASEAN-Australia-New Zealand Free Trade Agreement, AANZFTA).
En 2014, l’Australie et l’ASEAN célébreront le 40e anniversaire de leur partenariat : des événements sont prévus dans les différents pays[8] et les cérémonies culmineront au Myanmar/Birmanie, en marge de l’East Asia Summit (EAS) en juin à Naypyidaw.
En marge de l’ASEAN, un dialogue du Pacifique Sud-Ouest
Outre l’Australie, plusieurs États océaniens ont des relations particulières avec l’Asie du Sud-Est : en marge des rencontres au sommet de l’ASEAN, se tient un Southwest Pacific Dialogue Ministerial Meeting : les ministres des Affaires étrangères de l’Indonésie, des Philippines, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Timor oriental et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée se sont réunis pour la 11e fois dans ce cadre en juillet 2013.
La Papouasie-Nouvelle-Guinée est le seul État avec lequel l’Indonésie a une frontière terrestre. Elle est aussi, depuis 1976, le seul membre observateur de l’ASEAN et demande à devenir membre à part entière depuis les années 1980. Elle est membre de l’ARF et du Southwest Pacific Dialogue.
Port Moresby est de plus en plus proche de Jakarta (un vol direct relie depuis peu les deux capitales) et des analystes[9] convergent pour constater l’intérêt mutuel du développement des relations.
La PNG a un très important potentiel du fait de ses ressources minérales (pétrole, gaz, minerais[10]), forestières, agricoles (thon, huile de palme, café, cacao), etc. dont l’Asie du Sud-Est a besoin. Mais elle reste sous-développée : son besoin en infrastructures représente des opportunités pour les grandes entreprises de travaux publics. Le savoir-faire français y est connu grâce à de grandes entreprises qui participent aux projets d’exploitation des hydrocarbures.
Le jeune Timor oriental (indépendant depuis 2002), souvent considéré commun petit État océanien (par exemple, la Communauté du Pacifique l’a inclus dans sa zone de compétences lors de sa conférence de Suva des 18 et 19 novembre 2013), est indéniablement un État d’Asie du Sud-Est : il est membre de l’ARF et frappe à la porte de l’ASEAN (sa candidature a été présentée en 2011).
Les Fidji demandent à devenir membre observateur de l’ASEAN : elles sont soutenues par l’Indonésie (qui a trouvé en Suva un partenaire important pour limiter l’action du Groupe Fer de lance mélanésien sur la question de la Papouasie occidentale).
L’imminence de leur retour à la démocratie va faire cesser les sanctions que certains États avaient prises à l’encontre du gouvernement Bainimarama et elles retrouveront toute leur place au sein de la communauté internationale.
Cette évolution, conjuguée aux succès remportés par la diplomatie fidjienne pour contrer les effets des sanctions, en particulier pour développer des relations avec de nouveaux partenaires dans le cadre du Mouvement des Non-alignés, fera des Fidji un élément significatif de la scène indo-pacifique.
Les atouts de la France pour ses relations avec l’Asie du Sud-Est
La France, « puissance européenne au rayonnement global », considère que « sa prospérité est désormais inséparable de celle de l’Asie-Pacifique » et « souhaite approfondir son action auprès des organisations régionales de sécurité[11] », en particulier participer à l’accord ReCAAP[12] et rejoindre l’ADMM+[13].
Elle est, pour cela, en concurrence avec d’autres États[14]. Elle dispose d’atouts pour devenir un partenaire particulier de l’Asie du Sud-Est, notamment le fait qu’elle a été le premier pays européen à signer le Traité d’amitié et de coopération en Asie du Sud-Est[15].
Surtout, la France est présente en périphérie de cette région grâce à ses collectivités d’outre-mer. Par l’intermédiaire de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, elle est membre associé du Pacific Economic Cooperation Council (PECC)[16], contribuant ainsi aux travaux du principal forum économique de l’Asie-Pacifique, l’APEC (Asia Pacific Economic Cooperation)[17].
Mais elle a intérêt à donner aux États de l’Asie du Sud-Est des preuves tangibles de l’intérêt que représenterait pour eux sa participation à certaines de ses structures de sécurité.
Pour cela, les moyens militaires que représentent ses forces prépositionnées dans l’océan Indien et l’océan Pacifique, sont des instruments précieux par leur engagement, déjà significatif, dans les opérations, exercices, forums et séminaires.
[1] On définit généralement l’Asie du Sud-Est comme la région constituée par les 10 États membres de l’ASEAN (Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Myanmar/Birmanie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam) + Timor oriental.
[2] Des représentants de l’Australie et des États membres de l’ASEAN ont convenu en avril 1974 de se rencontrer régulièrement pour discuter de leur coopération. Depuis cette date, Canberra finance des programmes d’aide au développement au profit des États membres.
[3] La plupart des autres ambassadeurs auprès de l’ASEAN sont aussi chefs de mission diplomatique en Indonésie, et souvent accrédités pour d’autres États (c’est le cas de l’ambassadeur de France).
[4] L’ARF est le plus important forum multinational sur la sécurité en Asie. Il réunit les ministres des Affaires étrangères des États membres de l’ASEAN et ceux d’Australie, Bengladesh, Canada, Chine, Corée du Nord, Corée du Sud, Etats-Unis, Inde, Japon, Mongolie, Nouvelle-Zélande, Pakistan, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Russie, Sri Lanka, Timor oriental, ainsi que le Haut Représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité (Catherine Ashton), http://asearegionalforum.asean.org/
[5] L’East Asia Summit a été instauré en 2005. Il réunit actuellement les États membres de l’ASEAN, l’Australie, la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis, l’Inde, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Russie, www.asean.org/asean/external-relations/east-asia-summit-eas
[6] Regional Cooperation Agreement on Combatting Piracy and Armed Robbery against ships in Asia, qui réunit 19 États : Australie, Bangladesh, Birmanie, Brunei, Cambodge, Chine, Corée du Sud, Danemark, Inde, Japon, Laos, Norvège, Philippines, Royaume Uni, Pays-Bas, Singapour, Sri Lanka, Thaïlande, Vietnam www.recaap.org
[7] L’ADMM+ réunit les ministres de la défense des dix membres de l’ASEAN et leurs homologues de l’Australie, de la Chine, de l’Inde, du Japon, de la Nouvelle-Zélande, de la Corée du Sud, de la Russie et des États-Unis, http://admm.asean.org/
[9] Voir par exemple le rapport de Grant Mitchell pour l’ANZ Bank, Bold Thinking: Imagiining PNG in the Asian Century, octobre 2013, ou l’article PNG and the Asian Century de Rowan Callick, dans le numéro de novembre 2013 d’Islands Business.
[10] Dans le même ordre d’idées, la PNG dispose aussi de ressources en eau douce par habitant cinq fois supérieures à celles de l’Australie.
[11] Termes du Livre blanc de la défense et la sécurité nationale de 2013.
[12] Jean-Yves Le Drian l’a indiqué en juin 2013 au cours du Shangri-La Dialogue (ce dialogue, officiellement le Sommet de la Sécurité en Asie est organisé tous les ans à Singapour par l’International Institute for Strategic Studies, think tank de premier plan www.iiss.org
[13] Jean-Yves Le Drian l’a aussi annoncé au cours du Shangri-La Dialogue de 2013 et Laurent Fabius l’a rappelé dans son discours au siège de l’ASEAN (août 2013).
[14] Notamment le Canada.
[15] Le Treaty of Amity and Cooperation in Southeast Asia (TAC) a été signé lors du premier sommet de l’ASEAN, à Bali, en 1976. Des protocoles additionnels, à partir de 1987, l’ont ouvert à des États hors de la région. La Papouasie-Nouvelle-Guinée a été le premier, en 1989 (avant même le Cambodge, le Laos et la Birmanie/Myanmar). La France a apposé sa signature en juillet 2006 (avant les États-Unis). L’Union européenne et le Brésil sont les plus récents signataires (2012).
[16] Le PECC, établi en 1980 sur l’initiative de l’Australie et du Japon, réunit des représentants de gouvernements, des entrepreneurs et des chercheurs qui a pour but de promouvoir le développement économique de l’Asie-Pacifique. Il est à l’origine de la création, en 1989, de l’APEC. Le PECC est observateur de l’APEC, pour lequel il conduit des travaux de recherche. Les actions de la France dans le PECC sont conduites par le Comité France-Territoires du Pacifique du PECC, présidé par Michel Rocard www.pecc.org
[17] L’APEC réunit l’Australie, Brunei, le Canada, le Chili, la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis, Hong Kong, l’Indonésie, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Pérou, les Philippines, la Russie, Singapour, le Taiwan, la Thaïlande et le Vietnam www.apec.org